Nouvelles en Famille - 14 mai 2011
Sommaire
- Le mot du Père Fondateur
- Le Père Etchécopar écrit...
- Passé, présent, avenir de la vie consacrée
- 5 minutes avec le T.R.P. Gaspar Fernandez
- La vie extraordinaire de Sur Marie (5)
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Le mot du Père Fondateur
La véritable vie spirituelle
Lentreprise la plus noble qui puisse exister, cest de parvenir au comble de la perfection évangélique et de sunir à Dieu de manière à devenir un même esprit avec lui. Nous sommes tous obligés de travailler à réaliser ce dessein, cest une suite de notre élévation à la participation de la nature divine. « Nous devons glorifier et porter Dieu dans notre corps » (I Cor 6,19). Il faut donc savoir en quoi consiste la véritable vie spirituelle.
Les uns la font consister dans la multiplicité des prières; les autres dans le grand nombre duvres extérieures qui vont à la gloire de Dieu ou au soulagement du prochain; quelques-uns la mettent dans des désirs continuels de faire leur salut quelques-uns dans de grandes austérités.
Peut-on dire que ces choses-là sont autant dabus? Non, toutes ces choses sont bonnes; elles sont même nécessaires. Mais on se trompe si on y voit lessentiel de la véritable piété. La véritable piété, qui nous sanctifie, qui nous dévoue tout entiers à Dieu, consiste à faire tout ce que Dieu désire de nous. Mon Dieu, donnez-nous de bien comprendre et goûter une chose si simple (dans le) Saint-Esprit! Sans quoi, nous nous tromperons grossièrement.
La dévotion parfaite consiste à faire tout ce que Dieu veut de nous, précisément comme il le veut, dans les temps, les lieux et les circonstances où nous nous trouvons. (Faisons) tant de mouvements que nous voudrons, tant duvres éclatantes quil nous plaira. Nous ne serons payés que pour avoir fait la volonté du souverain Maître. Le domestique ou louvrier qui nous sert ferait des merveilles dans notre maison, sil ne fait pas ce que nous souhaitons, nous ne lui tiendrons aucun compte de ses actions et nous nous plaindrons avec raison de ce quil nous sert mal.
Le dévouement parfait, doù la dévotion tire son nom, veut encore que nous fassions la volonté de Dieu avec amour. Dieu aime quon lui donne avec joie, et, dans tout ce quil prescrit, cest toujours le cur quil demande.
Un tel Maître mérite bien quon sestime heureux dêtre à lui. Et il faut que ce dévouement se soutienne constamment et également, partout et toujours, (même) dans ce qui nous choque, dans ce qui contrarie nos vues, nos inclinations, nos projets; et quil nous tienne prêts à donner tout notre bien, notre fortune, notre temps, notre liberté. Être dans cette disposition et en venir aux effets, cest avoir une véritable dévotion.
Mais, comme souvent la volonté de Dieu nous est cachée, il y a encore un pas à faire dans le renoncement, cest daccomplir cette volonté par obéissance, une obéissance aveugle, mais sage dans son aveuglement. Cest la condition imposée à tous les hommes: le plus éclairé dentre eux, le plus propre à attirer les âmes à Dieu et à les y conduire, doit être lui-même conduit...
Un des principaux effets de lamour est de faire que ceux qui saiment naient entre eux quune même volonté. Il sensuit que, plus on aimera Dieu, plus on sera conforme à sa volonté, et que, réciproquement, plus cette conformité sera intime plus lamour sera parfait...
Saint Paul, dès le premier moment de sa conversion, se montre parfaitement disposé et soumis à tout ce que Dieu voudra: "Seigneur, que voulez-vous que je fasse?" (Actes 9,6). Ô parole courte, mais pleine, vive, efficace et digne de toute estime et de toute récompense! Elle ne renferme que deux mots, mais elle dit tout: "tout ce que Dieu veut que je fasse et que je souffre". Elle sort du fond du cur, et jamais Paul ne sen est départi dans sa conduite. Elle est digne dêtre reçue dans tous les états et dans toutes les conditions, surtout par les religieux. Elle renferme une parfaite forme de vie, si bien que, si nous parvenions à ce point de perfection, nous ne laisserions rien à désirer.
Samuel nous fournit un exemple semblable. Sa parole est la même que celle de saint Paul: "Me voici! parlez, Seigneur, votre serviteur écoute." (Sam 3,10) Heureuse lâme qui ne désire que connaître et faire ce que Dieu veut! Si quelque part, sur la terre, on doit trouver cette béatitude, cest sans doute parmi les religieux. La volonté de Dieu leur est manifeste. Dieu lui-même leur commande par leurs supérieurs, leur parle par leur règle, les éclaire et les meut intérieurement, et leur apprend par ces lumières et ces motions ce quil veut deux. "Heureux sommes-nous, ô Israël, parce que Dieu nous a révélé ce qui lui est agréable!" (Bar 4,4). Il ne nous reste quà mettre la main à luvre sans retard et à faire ce que nous savons que Dieu veut.
Saint Michel Garicoïts
"Père, Me Voici", pp. 23-27
Le Père Auguste Etchécopar écrit...
prière pour le Chapitre général de 1894
Prions pour chacun de nous : que Dieu nous donne cette vraie estime, Amour de la Croix. pour la grâce de la bonne mort, dont Marie est établie patronne au pied de la Croix.
Prions pour tous les graves intérêts et les classes de la Congrégation.
Demandons pour le Chapitre général que Dieu lui accorde les lumières nécessaires et lui fasse adopter les mesures les plus utiles au bien de la Congrégation ;
Pour les malades, que le Seigneur leur donne la guérison et la patience ;
Pour les missionnaires, le zèle et la prudence ;
Pour les scolastiques les connaissances qui font les savants, la science supérieure qui fait les saints ;
Pour les novices bien-aimés, objets de tant de soin et de tant despérance, la grâce de fonder leur édifice spirituel sur les vertus et dans le Cur de Notre Seigneur et de sa très sainte Mère.

Passé, présent, avenir de la vie consacrée
Lors de son assemblée de novembre dernier, lUnion des Supérieurs Généraux a analysé la vie consacrée en Europe : la situation est préoccupante, mais pas désespérée; en effet, de nouveaux champs missionnaires sont ouverts, à condition de savoir les repérer en revitalisant et en actualisant le charisme propre. Les 160 Supérieurs présents lont fait remarquer : la plupart des instituts apostoliques ont été fondés dans le sillage de la révolution française, dans une société et pour une société en pleine désagrégation spirituelle et morale. En partant de la façon dont, à lépoque, les congrégations ont affronté les besoins apostoliques du moment, voyons comment, aujourdhui, dans une fidélité renouvelée au charisme dorigine, on peut répondre aux défis de lévangélisation dans un contexte similaire.
ÉGLISE ET SOCIÉTÉ
À lépoque : au XIXe siècle, suite aux Lumières et à la Révolution française, la société naccepte plus que lÉglise guide et inspire le vivre ensemble, politique, social et moral. Au mieux celle-ci est ignorée et confinée aux sacristies, au pire elle est persécutée. Les idées dominantes sont ailleurs : libéralisme, socialisme, positivisme, communisme. Ce sont les débuts de la sécularisation : les nouvelles idéologies font le lit de la déchristianisation. La culture est aux mains dune élite qui pèse sur la vie sociale et politique dans un sens laïc, voire laïciste, léloignant toujours plus de ses racines chrétiennes.
Aujourdhui : en Europe, la prise de distance avec le christianisme est un phénomène évident et massif. La société civile na plus rien à voir avec celle dautrefois, toute imprégnée de valeurs évangéliques. Dun côté, lÉglise reconnaît clairement lautonomie du temporel dans lélaboration du tissu social et économique ; de lautre, cette autonomie conduit souvent à marginaliser lÉglise dans le champ social. En conséquence, les deux époques posent le même défi: remettre les valeurs évangéliques dans la vie sociale, culturelle, politique, afin de louvrir à la dimension véritable et totale de lhomme.
RELIGIOSITÉ SUPERFICIELLE
À lépoque : la Révolution française a sapé les structures de lÉglise ; le clergé a été pourchassé ou empêché dans lexercice du ministère, ce qui sest répercuté sur la religiosité du peuple privé de la Parole de Dieu. Doù le climat dindifférence, alimenté par le manque dévangélisateurs et lhostilité déclarée de la culture dominante.
Aujourdhui : notre époque reproduit ce schéma, en lexacerbant, avec deux phénomènes apparemment contradictoires : dune part, un nombre croissant de personnes délaisse la religion traditionnelle (en Europe, les pratiquants convaincus sont dores et déjà minoritaires) ; dautre part, on assiste à un retour du religieux, qui sexprime souvent de façon ambigüe et superficielle, teintée doccultisme, voire dintimisme individualiste. Il sagit donc dune religiosité à évaluer, à purifier, à libérer des simples traditions ; une religiosité à ré-incarner entièrement dans la vie personnelle, familiale, sociale, culturelle, et solidement enracinée dans la Parole de Dieu.
LA MORALE DES "ISMES"
À lépoque : cette religiosité coupée de ses racines et en mal de convictions solides rejaillit inévitablement sur la conduite morale du peuple chrétien ; au XIXe siècle, naissent et se développent lindividualisme et le subjectivisme, lesquels déboucheront ensuite sur le relativisme religieux et moral. On nadmet plus lexistence de principes (essentiellement évangéliques) doù tirer des valeurs morales reconnues valables pour tous ; et voilà posées les bases du subjectivisme, refusant toute norme extérieure censée léser la liberté de chacun : dans cette optique, où ne subsiste que le moi individuel, toute morale nest légitime quen référence à lindividu qui létablit
Aujourdhui : ces « conquêtes » de la pensée sont devenues des « dogmes » absolus, des « vérités » acquises défendues par la culture dominante, et suivies par des tas de gens, y compris des chrétiens patentés. La culture moderne reconnaît pour seule autorité celle de lego (libertarisme), dictant les canons dun bonheur à atteindre par les moyens que chacun juge adaptés, et le droit de décider librement de sa vie. La morale catholique est condamnée au silence, car elle est tenue pour étrangère à lhomme et négatrice de sa liberté. Notre époque est dominée par lindividualisme moral, qui pénètre la sphère sociopolitique, et par le relativisme religieux ; on soutient la pluralité des vérités, et légalité des croyances. Sy ajoutent le scepticisme quant à la capacité de la raison humaine à atteindre la vérité, et lindifférentisme, pour lequel il est inutile de rechercher la vérité et dadhérer à une quelconque doctrine religieuse.
ÉTHIQUE SOCIALE
À lépoque : le XIXe siècle voit la montée en puissance de la bourgeoisie qui ne vise quà accumuler les richesses, favoriser la croissance sans limite et la productivité. La conséquence, du point de vue de léthique sociale, en est la recherche du profit à tout prix ; le capitalisme impose largent et la richesse comme des absolus. Les inégalités sociales sont plus marquées. La valeur suprême est de produire pour créer de la richesse et créer du bien-être, sauf quen définitive, seule une minorité en profite.
Aujourdhui : les conditions de vie se sont améliorées, les populations ont bénéficié de nombreux acquis sociaux. Néanmoins, la mondialisation aggrave cette culture du XIXe qui constitue le fond de la mentalité moderne : le profit, la richesse, le succès, laffirmation de soi font pour beaucoup la valeur de la vie ; pour y parvenir, il ny a quun seul chemin : lindividualisme sans scrupule ni sens du partage. La richesse est le miroir où se voir et se faire voir ; la culture de légoïsme, de lapparence, de lavoir aux dépens de lêtre, est érigée en règle suprême.
En résumé, les deux époques posent le même problème : remettre les valeurs évangéliques dans la vie morale, sociale, culturelle et politique, non pour enserrer la société dans les filets de lÉglise, mais pour contribuer à la formation dune culture individuelle et collective qui sache mettre au premier plan les besoins réels de la personne, et louvrir ainsi à toutes ses dimension humaines et transcendantes.
ET MAINTENANT ?
Comment saint Michel et ses compagnons ont-ils répondu à des problématiques qui ressemblent aux nôtres ? Quels chemins ont-ils privilégiés parmi tous les possibles ? En voici quelques uns qui peuvent nous inspirer aujourdhui.
Face à une société traumatisée par la Révolution, saint Michel a eu une conscience vive de la mission. Il a fondé la Congrégation comme un « camp volant », justement pour porter la Parole de Dieu dans tous les secteurs de la société et de la culture de son temps, et par là, changer les conceptions et les comportements.
Aujourdhui, comme à lépoque de notre fondateur, il faut une évangélisation tous terrains, capable de pénétrer les cuirasses dindifférence, de superficialité, de traditions formelles ; il faut un témoignage fort et crédible, à même dêtre accueilli dans un contexte historico-culturel qui a perdu le goût de lÉvangile, et la relégué dans la sphère privée. Il faut, comme alors, une annonce éclairée (par des personnes attentives aux signes des temps), adaptée, pour retisser le lien entre foi et vie collective (familiale, sociale et politique) et raviver linspiration chrétienne dans les dimensions, multiples et complexes de lexistence.
Saint Michel avait saisi le besoin urgent de former les consciences, à commencer par celle des personnes et des institutions, pour le bien de la société. Doù son attention au monde des jeunes (à travers les écoles et autres milieux propres), à la famille (espace où convergent tant de facteurs vitaux), à la catéchèse (pour une formation chrétienne qui ne soit pas superficielle), à la prédication (pour lannonce vivante et actualisée de la Parole). Autant de secteurs privilégiés par saint Michel en son temps ; il les a laissés en héritage à ses religieux pour quils sy engagent selon les modes et les moyens de chaque époque - et quils le fassent toujours à lintérieur des questionnements de la culture contemporaine.
Inutile de préciser que lÉglise, aujourdhui plus que jamais, considère ces champs daction comme des priorités de lévangélisation ; cest là que se jouent le présent et lavenir du croyant et de la société. La « nouvelle évangélisation » exige toute une gamme de propositions spirituelles, didées, de projets, comme ce fut le cas au XIXe. Les domaines concernés ? - La catéchèse, la Parole de Dieu, la formation chrétienne et culturelle, lengagement social et politique des chrétiens, létude et la mise en uvre de la doctrine sociale de lÉglise, laction missionnaire (de tous les fidèles). Ce qui revient aux consacrés, mais pas à eux seulement, cest de sengager pour se former et apporter des réponses à ces priorités.
Notre congrégation doit sentir lappel de lÉglise à clarifier les objectifs de fond de notre présence, en repérant les besoins les plus urgents parmi les champs dapostolat énumérés ci-dessus. Et ce, avec la conscience rappelée par les Supérieurs généraux que nous ne sommes pas religieux pour ce que nous faisons, mais pour la façon dont nous le faisons, le pourquoi et pour qui nous le faisons. Le nombre et limportance des uvres importent peu. Nous devons veiller dabord à notre « manière dêtre ».
Aux débuts de la Congrégation, il y a eu un discernement éclairé et un courage assuré : ils ont mis Bétharram en phase avec les exigences de lévangélisation. Avec des Pères peu nombreux, mais convaincus de leur mission, et soucieux de réduire la fracture entre la culture (la façon de concevoir la vie et la foi) et lÉglise, qui porte des valeurs essentielles pour une vie pleinement humaine. Cette fracture est dailleurs lun des drames des temps modernes.
Nous avons hérité dune spiritualité fondée sur lincarnation (la parole-clé de lÉglise de tout temps, et surtout du nôtre, quand on parle dévangélisation), sur le programme et les vertus du Sacré Cur (résumés dans lEcce venio - me voici - de son offrande au Père), sur la figure de Marie (unie au Fils par son Ecce ancilla - voici la servante du Seigneur) ; cette spiritualité est toute dattention à lhistoire, don de soi prompt et éclairé, présence précieuse, consciente et discrète. Il sagit maintenant de sincarner dans notre réalité, avec le même discernement et le même élan, fraternel et communautaire, des commencements.
Selon moi, nos uvres (paroisses comprises) doivent être des chantiers de méditation et de prédication nourrie de la Parole de Dieu, de catéchèse, de formation humaine et spirituelle pour jeunes, adultes et familles. Autant de pistes qui remontent à lhistoire de Bétharram et que nous indique lÉglise daujourdhui.
Je crois que la Chapitre général sera une occasion en or pour cet examen de conscience, approfondi et courageux, que 160 Supérieurs généraux nous demandent au nom de lÉglise. Et tout cela, pour aller du passé au présent et de là vers lavenir, avec une confiance renouvelée.
Ennio Bianchi,SCJ
10 minutes avec... le Très Révérend Père Gaspar Fernandez

Au moment où souvre le Chapitre général de Bethléem, la NEF a voulu faire le point du mandat écoulé avec le P. Gaspar Fernandez Pérez. Dialogue à cur ouvert avec le Supérieur général.
Nef : 14-31 mai, deux dates symboliques pour un rendez-vous majeur comment abordez-vous cette nouvelle étape ?- Avec des sentiments contradictoires. Dun côté, jai très envie dattaquer ce temps fort de la Congrégation, le Chapitre général de Bethléem, pour ce quil signifie dexpérience de fraternité, dinternationalité et de discernement dans la vie de la Congrégation. De lautre, jai un peu le trac, car il faut rendre compte, devant les représentants de tous les vicariats, de la vie et de la mission de la famille de Bétharram ces six dernières années.
Et la Congrégation, comment la sentez-vous ?
- Je la vois pleine de vie et de dynamisme. Là encore, il y a deux aspects : dune part sachève un cycle marqué par la culture européenne ; de lautre sest déjà ouverte une période qui nous affronte aux défis dun multiculturalisme toujours plus grand. On a bien répondu aux demandes de Vatican II ; la dimension mystique de la consécration a été mieux prise en compte par la redécouverte du charisme ; on a travaillé à consolider la vie des communautés ; on a diversifié la mission ; la formation a trouvé le sérieux nécessaire dans tous les efforts de clarté et de rigueur ; la collaboration avec les laïcs a pris de limportance dans le partage de la spiritualité autant que de la mission.
Quand tout remonte à vous de la vie des religieux, est-ce quon dort bien ?
- Par nature, je nai pas le sommeil facile, mais je dirai que, grâce à Dieu, ce ne sont pas les problèmes des Bétharramites qui mont mempêché de dormir. Tant que je nai pas la preuve du contraire, je fais confiance à chaque religieux : son choix de la Congrégation a été dûment réfléchi. Jai appris à dire avec saint Michel Garicoïts : "Je ne suis pas capable, je ne suis pas digne, peut-être même suis-je incapable et indigne; mais une parole [de vous, Seigneur] et je serai digne et capable." Vivons et mourons dans ce double sentiment de profonde humilité et de confiance pleine d'amour et d'abandon. (Corr. I, lettre 46). Je suis convaincu à la fois que jai de grandes limites, et que je peux mappuyer sur le Seigneur : sil ma voulu pour ce service, il me donnera la grâce de laccomplir.
Et puis, les principales responsabilités ne sont pas à Rome mais dans les communautés où se trouvent la vie et la mission de la Congrégation. On passe beaucoup de temps à lextérieur de la Maison générale. Et quand on est dehors, on aspire à y revenir pour jouir dune certaine tranquillité et retrouver son lit. Et puis, jaime me retirer dans ma chambre pour lire, prier, écouter de la musique
Jestime que le temps réservé à la réflexion est fondamental pour une telle charge.
En tant que supérieur général, quel événement avez-vous vécu le plus douloureusement ces six dernières années ?
- Signer les décrets dexpulsion de deux religieux ma été très difficile. Mais le plus dur, ce fut ma visite en Côte dIvoire, en septembre 2009. Après la retraite que jy prêchais, jai dû reprendre par écrit plusieurs religieux dont la conduite laissait à désirer. Pour le bien de toute notre famille, javais le devoir de réagir et dagir selon les moyens appropriés. Mais jétais en paix, car toutes les décisions avaient été mûries avec le Conseil de vicariat. Ce qui ma rendu encore plus serein et confiant en lavenir, cest lattachement à Bétharram, et lauthenticité humaine et chrétienne, que j'ai pu apprécier chez la plupart des religieux et des jeunes en formation.
Quest-ce qui vous a rendu - et vous rend encore - heureux dans lexercice de vos fonctions ?
- Jai le privilège davoir été témoin de laction de la grâce de Dieu chez certains frères qui, dans des périodes de crise et de difficultés aigües, ont su répondre fidèlement au don de leur vocation, notamment à travers laccompagnement spirituel. Je me réjouis aussi de voir que la formation bétharramite trouve sa consistance par le biais de lentretien périodique du jeune avec le formateur, et des Exercices spirituels de saint Ignace. Quelle joie de savoir que, cette année, les 30 jours ignatiens ont été donnés dans nos trois noviciats dAdrogué, Bethléem et Bangalore !
Quel est votre plus grand motif despérance pour lavenir de la Congrégation ?
- De Saint Michel Garicoïts, nous avons reçu un charisme très attirant et très actuel. Nous restons une petite Congrégation. Pourtant, quand on témoigne du charisme avec authenticité et conviction, ça ne laisse pas les jeunes indifférents. Ce fut le cas en Thaïlande, en Inde, en Côte dIvoire et en Amérique. Si on a le courage de proposer aux jeunes de faire lexpérience de Dieu, par exemple avec des retraites ignatiennes, des jeunes voudront entrer à Bétharram, en Europe aussi.
Le précédent chapitre avait mis en route deux grands chantiers : la règle de vie et la régionalisation. : où en est-on, six ans après ?
- Cest le Chapitre général de 1999 qui a organisé la Congrégation en régions et leur a donné leur nom. Celui de 2005 a pris des dispositions pour que la nouvelle gouvernance entre en vigueur en deuxième partie de mandat. Le 1er janvier 2009 lorganisation en vicariats et régions a donc pris effet. Au départ, ça semblait facile, mais la pratique nous a vite fait prendre conscience des difficultés. On pensait que tout deviendrait plus simple. Ce ne fut pas le cas, la vie est plus complexe : des choses se sont simplifiées, dautres se sont compliquées. Pourtant, je crois quon ne peut pas revenir en arrière, comme lont exprimé les chapitres régionaux. Lavenir de la Congrégation se joue dans la tension vers lunité, réalisée dans le respect de la diversité culturelle des vicariats. La région est également un élément dunification des vicariats, des communautés et des personnes qui font la vie de la Congrégation. Le Chapitre général de Bethléem va devoir évaluer ce qui sest fait, et corriger ce qui avait été pensé mais sest révélé inutile à lusage.
La révision de la Règle de Vie est liée à la régionalisation. Pour appliquer ce projet, il fallait adapter la Règle Cest pourquoi, le P. Francesco avait nommé une commission dans ce but en 2002. Elle na pas chômé ! Tout en respectant le travail fait en 1969, elle a intégré la réflexion sur la vie consacrée et sur le charisme menée ces 40 dernières années. On pensait terminer plus tôt, mais les deux ans dexpérimentation de la régionalisation nous ont rendu réalistes ; et nous ont conduits à faire des retouches de dernière heure. Jen suis persuadé : ce gros travail a accouché dun document de valeur, qui reflète bien notre identité et qui a vocation à renouveler notre vie de Congrégation.
En lançant la régionalisation, vous avez insisté sur son enjeu spirituel ; quel bilan en tirez-vous ?
- Deux ans et demi, cest court comme période dessai. Mais il y a des signes très positifs. Certains vicariats ont fait la retraite annuelle avec la Narratio fidei. Entre nous, en communauté, on doit pouvoir oser partager sur ce que Dieu fait dans nos vies et dans le monde daujourdhui. Ce type de partage se vit au Conseil général, en Conseil de Congrégation, dans les Conseils régionaux et dans quelques conseils de Vicariat et communautés. Autre point fondamental : retrouver, dans toutes nos communautés, le rôle danimateur joué par le supérieur. Le Conseil de Congrégation de Bangalore a demandé à chaque Région de prévoir des réunions de supérieurs. Deux dentre elles ny sont pas encore arrivé, mais cest capital si nous voulons donner plus de profondeur à la vie spirituelle et au témoignage de nos communautés.
Quelles priorités missionnaires entrevoyez-vous pour Bétharram en fidélité au charisme et en phase avec les besoins de ce temps ?
- Pour la mission, la première des priorités est de former des communautés internationales. La Congrégation, de France dabord puis dEspagne, d Italie et dAngleterre, a envoyé des missionnaires en Amérique, Terre Sainte, Chine, Thaïlande, Maroc, Algérie, Côte dIvoire, Centrafrique et Inde. Bétharram doit rester missionnaire tout en changeant de destination. Sans abandonner ce qui a été lancé en Asie, en Afrique et en Amérique, il faut des missionnaires en Europe pour soutenir des projets phares, et donner un nouveau souffle vocationnel à nos communautés. En même temps, nous suivons de près ce qui se passe en Chine, où Bétharram est en veilleuse depuis 1951. Non loin de là, au Vietnam, lEsprit Saint, qui a donné à saint Michel Garicoïts le trésor du charisme, nous fait des « clins dil » vocationnels...
Y a-t-il une phrase ou un aspect de notre père saint Michel qui a pris un relief particulier depuis 2005 ?
- Jaime beaucoup la façon dont saint Michel accompagnait par lettres les communautés de Bétharram, comme celle du collège de Moncade à Orthez, ou la toute jeune mission dAmérique. Voici ce quil écrivait au P. Diego Barbé, directeur du collège San José : « C'est vraiment inqualifiable! Mais que voulez-vous? Quand on a des idées arrêtées, il est difficile de s'en défaire; et puis on croit perdre son temps lorsque les choses ne vont pas selon les inventions de nos imaginations; on ne sait pas surtout comprendre, goûter et embrasser corde magno et animo volenti et constanti une obscurité, une stérilité, des insuccès auxquels on se voit réduit par obéissance. C'est la manne malheureusement cachée encore pour plusieurs. » (Corr. I, lettre 163) On dirait que ces propos sont pour nous. La manne cachée, cest notre union au Christ, qui relativise tout le reste. Les problèmes viennent souvent de notre manque de foi et de nos commentaires, souvent négatifs et décourageants, comme cétait le cas des ragots qui courraient sur le collège dOrthez.
Un souhait ou une prière pour conclure ?
- Au terme de ce mandat, je ne puis que rendre grâce à Dieu pour la confiance quil ma faite à travers mes frères au dernier Chapitre général. Dabord parce quil a choisi un pauvre type de mon genre, dune humble famille, dun petit village, dun coin inconnu. Ensuite, pour cette délicatesse davoir choisi un Bétharramite dEspagne, laquelle na jamais été une entité forte de la Congrégation. Père, je te loue, Seigneur du ciel et de la terre
Oui Père, car tu en a voulu ainsi
Je remercie aussi pour cette grâce davoir parcouru la Congrégation pendant six ans, et dy avoir été témoin des merveilles quil réalise chez nos frères et, à travers eux, du salut quil apporte aux hommes. Pour ces six années au service de Bétharram, je ne peux quunir ma voix à celle du psalmiste : Seigneur, mon partage et ma coupe : de toi dépend mon sort. La part qui me revient fait mes délices ; j'ai même le plus bel héritage ! (Psaume 16,5-6)
5. PROPHÉTIES DE SUR MARIE
Elles furent très nombreuses, certaines en métaphores orientales, difficiles; il y en eut sur les étapes de sa vie et sur sa mort, avant les trois ans de séjour à Bethléem. En 1868 elle fit prévenir Rome quune caserne, proche du Vatican, était minée. On nen tint pas compte. La caserne explosa ensevelissant des musiciens. On sen souvint pour dautres avertissements venus delle pendant le Concile.
Je puis apporter un témoignage personnel en ce domaine. En 1925, le P. Buzy, son biographe, nous parla dune de ses prophéties annonçant que Bétharram aurait pris en charge le séminaire patriarcal. Il ajouta quà son avis la prophétie sétait réalisée en 1921 lorsquil avait, avec le P. Audin, donné des cours au séminaire. Avec mon condisciple anglais, le P. Waddoups, nous pensâmes que le Père avait trop de bonne volonté en laffaire. Mais en 1932, nous vécûmes tous deux la vraie réalisation de la prophétie. Le patriarche Barlassina (1920-1947) avait réclamé que Bétharram prît en charge son Séminaire. On refusa. Mais le supérieur général ajouta une ligne imprudente: que dans un cas « dembarras total », il ferait son possible. Le Patriarche Barlassina créa « lembarras total » en remerciant les professeurs bénédictins du Séminaire, le 30 juin. En août, il renouvelait sa demande à Bétharram. Nouveau refus. Mais alors, par le P. Buzy, le Patriarche rappela la phrase du T.R.P. Paillas. Cette fois, le Conseil général sestima lié. Bétharram prit ainsi en charge, quasi par force, le Séminaire patriarcal. Le P. Waddoups et moi-même, désignés pour cette fondation, fûmes daccord cette fois, pour y voir la réalisation de la prophétie de Sr. Marie.
Sur Marie fut aussi objet de possessions angéliques, à Pau puis en Inde. Les possessions diaboliques, dans des limites imposées par le Seigneur, ont été considérées par les deux grands experts en mystique, le P. Garrigou-Lagrange o.p. et le P. Mager o.s.b., comme des purifications passives plutôt terribles.
Il y eut aussi dans sa vie en 1876, un cas de bilocation, au bénéfice dune sainte religieuse de S. Joseph, Sr. Joséphine Rumèbe. Mourante à Chypre celle-ci vit Sr. Marie lui venir, lassurer quelle ne mourrait pas, car elle avait encore beaucoup de Bien à faire. Il en fut en effet ainsi delle en Terre Sainte, jusquà sa mors en 1927; avec, entre autres activités, la création du monastère ct du sanctuaire de lArche dAlliance, à Abougosh. En 1878, à Jaffa, Sr Joséphine reconnut avec bonheur Sur Marie parmi les Carmélites de Bethléem en route pour Nazareth.
Analphabète et sans aucune culture, ne disposant que dun très pauvre français estropié, mêlé darabe, elle faisait preuve cependant dans ses extases dun vrai don de poésie, en poèmes, cantiques, paraboles. Une Sur auditrice en disait : « Il y avait quelque chose de suave, denfantin, de céleste dans ses gestes, ses regards et le ton de sa voix. Aussi les paroles que nous en rapportons sont-elles mortes auprès de la vie et de lexpression quelle y mettait ». Sa voix brisée retrouvait alors sa clarté et sa chaleur. Cest dune de ses extases que vint sa si belle prière au Saint-Esprit:
Esprit Saint, inspirez-moi, Amour de Dieu, consumez-moi. Au vrai chemin, conduisez-moi. Marie, ma Mère, regardez-moi. Avec Jesus, bénissez-moi. De tout mal, de toute illusion, De tout danger, préservez-moi. |
Pierre Médebielle,SCJ
Jérusalem (1983, pp. 201-239)
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