Vie de la Congrégation (2)
Les « Douches du Sacré Cœur »
« Est-ce que nous ne pourrions pas faire des douches pour les sans-abris comme l’a fait le Pape ? » Par cette question toute simple, la communauté bétharramite de Barracas, quelques associations et des paroissiens se sont laissés interpeller par l’initiative du Pape François au Vatican qui a consisté à mettre à la disposition des sans-abris un lieu où se reposer, être au chaud, manger, se laver. Mais aussi, et surtout, un endroit où trouver une main amicale et un visage à qui raconter sa souffrance, son espoir… en ayant la certitude d’être aidé et soutenu.
Au mois d’août 2015, quelqu’un est venu me voir après la messe pour me dire ceci : « Est-ce que nous ne pourrions pas faire des douches pour les sans-abris comme l’a fait le Pape ? » Tout est parti de là. Nous nous sommes réunis avec trois associations et nous avons décidé de lancer le projet. La décision du pape François d’ouvrir, près de la place Saint-Pierre, des douches et des services pour l’hygiène à l’attention des personnes en situation de précarité sociale, nous a convaincus. Nous avons perçu cette initiative comme un geste prophétique de la part du Pape, geste qui méritait d’être reproduit à Buenos Aires. Sans vouloir faire de sottes comparaisons, nous pensons que le nombre de gens qui vivent dans la rue est plus élevé encore à Buenos Aires qu’à Rome. D’où l’urgence de répondre promptement à une demande qui, jour après jour, augmente malheureusement dans les grandes villes.
Tout cela a été possible grâce au discernement communautaire.
La première chose à faire était d’en parler lors d’une réunion de communauté, pour que chacun puisse être au courant du projet et pour qu’une fois tous d’accord, chacun puisse apporter sa contribution. Notre engagement était de ne pas nous limiter à ouvrir un lieu où pratiquer la charité, mais de faire un choix clair et net en faveur des périphéries. Et l’une des ces périphéries, ce sont les personnes qui vivent dans la rue et dans un contexte social précaire.
C’est ainsi qu’à la mi-septembre est arrivé un camion rempli de sable et que dans les vieux sanitaires de la paroisse ont commencé les travaux de démolition et de restructuration, de façon à pouvoir mettre en place deux douches, deux lavabos et des sanitaires, tout en conservant un espace réservé à la paroisse.
Certes, les “Douches du Sacré Cœur” ne sont ni la première ni l’unique expression de miséricorde de l’archidiocèse de Buenos Aires ni de Bétharram. Mais cette initiative se distingue de deux manières : la première est le fait d’être née du désir d’imiter le geste accompli par le pape François à Rome ; la deuxième tient au fait qu’il ne s’agit pas à proprement parler d’une activité pastorale de l’Église. Autrement dit : les bénévoles, les personnes qui viennent vers nous et celles qui utilisent ce service ne sont pas tous chrétiens. De plus, la construction et la restructuration des salles d’eau ont été réalisées par une entreprise dont le propriétaire est un « frère aîné dans la foi ». Son père et lui sont juifs et ont œuvré gratuitement à la construction de salles d’eau dans une église catholique.
C’est le climat dans lequel nous œuvrons. Nous ne demandons pas de certificats de baptême ou de travail, afin que tout le monde puisse venir. Il suffit d’un cœur qui aime véritablement.
Les travaux ont été achevés fin décembre, période qui, dans l’hémisphère sud, correspond au début des grandes vacances. Les douches ont donc été officiellement bénies et inaugurées le 8 mars 2016. Une semaine plus tard, elles entraient en service pour accueillir des sans-abris en leur offrant l’accès à une salle de bain chauffée, des vêtements propres en bon état, un goûter le mardi après-midi et le petit-déjeuner le samedi matin.
Le premier jour, sept personnes sont venues voir de plus près. Actuellement nous assistons environ quarante-cinq personnes. Il y a beaucoup de demandes, surtout maintenant que l’hiver a commencé. Nous travaillons avec environ quinze volontaires et l’aide de professionnels du secteur : travailleurs sanitaires, assistants sociaux, psychologues.
Ces salles d’eau sont aussi un prétexte. Ce que nous souhaitons, c’est que la personne qui vient aux Douches trouve un lieu de repère, un milieu favorable pour sa santé non seulement physique mais aussi spirituelle ; un espace dans lequel des personnes non seulement offrent des vêtements et de quoi manger mais s’impliquent aussi totalement et partagent des expériences de vie. Ainsi les repas sont de beaux moments. À table, les bénévoles se mêlent aux personnes de la rue... à la façon dont Jésus nous l’a enseigné, lorsqu’il rompit le pain la première fois.
Lorsqu’on écoute les récits de chacun, ce sont des histoires de vie, des blessures, des plaies ouvertes, le désespoir des uns et des autres qui ressortent. Nous autres, bénévoles, nous écoutons. Notre tâche est d’accueillir, c’est-à-dire de faire place à l’autre dans notre vie. Et d’accompagner. La douche, en soi, c’est un premier pas. Nous ne prétendons pas résoudre le problème des gens qui vivent dans la rue. Nous essayons de concrétiser, avec eux, la miséricorde, cette année avec un attention particulière. Mais nous souhaitons faire un peu plus. La prochaine étape sera d’ouvrir des ateliers d’artisanat où ceux qui le voudront pourront apprendre un métier et l’exercer, pourquoi pas grâce à la mise en place d’une coopérative de travail ? C’est certainement une longue route qui nous attend, car le but ultime de cette initiative des « Douches du Sacré Cœur » est la possible réinsertion dans le monde du travail de ces personnes en situation de précarité sociale. C’est un grand rêve. Ce qui commence par une simple salle d’eau se veut un appel à ce qui, dans un domaine plus large, pourrait devenir un processus d’humanisation et de valorisation de la vie, face à un système qui, pour parvenir à se maintenir, met au ban certains individus, exploite les pauvres et génère des phénomènes de marginalisation et d’esclavage.
Le “Projet des Douches” se poursuit donc avec le soutien de personnes de bonne volonté, des bénévoles, des membres d’associations, des paroissiens et grâce aux dons de nombreux “anonymes” qui offrent régulièrement fournitures, produits pour l’hygiène, vêtements en bon état.
Il y a un an, ces douches n’étaient qu’un rêve. Aujourd’hui le rêve est de combattre les causes qui conduisent certaines personnes à vivre dans la rue et à venir se servir des douches. Le rêve est aussi d’ouvrir des espaces créatifs de travail pour rendre à la vie sa dignité et pour aller, tous ensemble, de l’avant.
Sebastián García scj
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